Leguideinfo.net : nous vous embarquons dans un voyage culturel bien singulier dans le Koundara profond. Le Barbotage des marres ça vous dit quelque chose ? Ah oui ! Ça devrait ! Le barbotage des marres est un événement annuel peu médiatisé mais qui pèse lourd dans la balance du patrimoine culturel guinéen. C’est un mélange de la fougue de la jeunesse et de la sagesse de la vieillesse. C’est une cérémonie de pêche traditionnelle unique en son genre. « La rivalité positive », chaque participant représente une famille et doit l’honorer de par le résultat de sa récolte. Ça se passe à Akana, Kouria, Pakon et Woof dans le district de Koutan, sous-préfecture de Saraboïdho dans la préfecture koundara.

Sous le pied du mont Badiar, vivent plusieurs communautés Badjaranké qui restent encore fidèles à l’héritage des ancêtres. Des véritables protecteurs des traditions africaines de Guinée. C’est dans ce cadre que plusieurs activités traditionnelles sont organisées chaque année au mois de mai pour perpétuer la tradition.
C’est par Akana, la plus vieille des marres de la communauté Badjaranké que la pêche va commencer. Ici, à deux jours de la cérémonie de barbotage, les pêcheurs et leur familles viennent camper sur les rives de la mare sous les bois. Après les préalables loin de toute indiscrétion, le gardien de la marre autorise officiellement le barbotage. Un signal attendu impatiemment par les pêcheurs engagés et déterminés à ne pas revenir bredouille.

Avec leur ‘’Wouson’’ et leur ‘’Sorin’’ : des instruments destinés à la pêche dans les marres. C’est alors une course contre la montre qui s’annonce. Chacun veut pêcher le plus grand poisson pour surprendre agréablement sa famille qui attend sous les bois. Ils remuent la boue ça et là, à la recherche d’un produit halieutique. Ici à la place du poison, certains trouvent d’autres espèces comme le Varant, le crabe et la tortue. D’autres par contre moins chanceux reviennent malheureusement bredouilles sous les bois où attendent familles et proches.
Kèta Wetchoula Sanè nous parle de cette mare et ses particularités. « Cette tradition nous la perpétuons depuis plusieurs siècles. Akana a été découvert lors du retour des combattants après avoir repoussé l’armée d’Alpha Yaya Diallo venue pour islamiser la région. Elle est la plus vieille des marres de la communauté Badjaranké. Avant que le signal ne soit donné, il y a des rituels que nous faisons loin des yeux. Ils consistent à protéger et apporter du bonheur aux pêcheurs et à leurs familles. À Akana il y a des principes qu’on ne viole pas. Il s’agit de la proscription de la musique sur les lieux, l’interdiction aux femmes de pêcher, les poissons pêchés ne sont pas à vendre, ils sont destinés à la nourriture des familles et ceux qui ne partent pas ne mangent pas les nourriture destinées à la cérémonie », nous raconte Kèta Wetchoula Sanè.

Après Akana se sont les marres de Kouria et Pakon qui sont les prochaines étapes de la fête. Là aussi les pêcheurs ne semblent pas fatigués, ils déplacent et renversent la boue et ses herbes à la recherche de poissons.
Il est 21h et déjà sur les rives de Woof une autre marée, les pêcheurs campent pour attendre l’aube. C’est là que nous passons la nuit et c’est à 6h du matin après les premières lueurs que le signal est donné. Contrairement aux trois précédentes Marées, la pêche à Woof a été fructueuse. Les cris de joie illustrent cela dans les campements.
« À Akana j’ai gagné assez de poissons jusqu’à en offrir parce que je ne pouvais pas envoyer tout », se réjouit Lamine Niabaly qui souhaite ardemment mettre ses orteils sur les traces des anciens.
Un autre de dire « je suis là depuis l’aube mais jusqu’ici je n’ai rien gagner comme poissons ,c’est la volonté de Dieu !» Dans les campements, le sourire est sur presque toutes les lèvres. Les femmes se préparent à faire la cuisine et rassurez vous ce sont les poissons pêchés dans la marre qui serviront dans les assiettes. C’est un festin qui s’annonce. Personne ne veut rater. Attention, là aussi le respect de la tradition est de mise.

Une urgence de protection s’impose !
Cependant ces marres courent de grands risques de disparition si rien n’est fait. Déjà les arbres et herbes nécessaires à la création d’un écosystème favorable à la vie des poissons disparaissent à grand pas. Un projet de pisciculture peut bien redonner du sourire aux communautés. Une autre problématique est le fait que des personnes viennent souvent barboter les Marres sans l’autorisation officielle du gardien, regrettent des habitants. Ces personnes sont aussi accusées de vendre les produits sur le marché, brisant alors l’interdit. Ce qui est contraire au principe des marres. Le ministère de la culture et du patrimoine historique est interpellé.
Le département dirigé par l’ancien journaliste Moussa Moïse Sylla, peut compter sur l’Association des Jeunes Résidents et Ressortissants pour le Développement de Koutan (AJERDEK), qui passe désormais à la vitesse supérieure pour faire renaître cette pratique ancestrale de ses cendres. Déjà elle dit avoir commencé à sensibiliser les communautés sur la nécessité de protéger ces joyaux culturels.
« Cette année il y a eu beaucoup d’amélioration dans l’organisation des cérémonies des différentes mares. Nous sensibilisons les communautés par rapport aux bienfaits de ces patrimoines et quant à leur rôle dans les relations de cohabitation et de partage », déclare Djouma Niabaly, le Président de ladite association.
Il ajoute que « des campagnes de reboisement sont prévues et la bonne coordination des activités pour donner à l’événement une dimension sous-régionale. L’objectif est d’en faire un véritable facteur de renforcement des liens et la connaissance de l’histoire par la nouvelle génération que nous sommes. »
Cette cérémonie de barbotage de Mares est une belle forme de partage et de bravoure communautaire. Chaque pêcheur est attendu par sa famille. Des plus grands aux plus petits, chacun se soucie et s’interroge « comment vais-je rentrer au campement.» Cette tradition ancestrale incite les jeunes à se battre pour la famille, pour sa survie et ses besoins. Elle est aussi une course de vitesse qui fait naître chez ces jeunes « l’esprit de rivalité positive ». Comme pour dire que nos ancêtres ne faisaient rien au hasard.
Ismaël Djaka Nabé, Journaliste indépendant.